"On va se donner la capacité d'agir au plan national". Claude Wiseler au sujet des défis en matière d'aménagement du territoire

Sébastien Lambotte: Dans un contexte de croissance démographique au sein d'un Luxembourg dont la taille est relativement restreinte, pouvez-vous nous résumer les principaux enjeux relatifs à l'aménagement du territoire?

Claude Wiseler: Au cœur des années 90 et 2000, le Grand-Duché de Luxembourg a connu un développement économique hors pair. En découlent, encore actuellement, une croissance de la population et une pression importante sur l'immobilier, les infrastructures ou encore la mobilité. Par ailleurs, le territoire national reste exigu. C'est justement parce que les surfaces disponibles sont restreintes qu'il faut travailler en étant extrêmement organisé et structuré.

Sébastien Lambotte: En effet, il n'y a pas de place pour un développement sauvage. Mais comment cela s'organise-t-il?

Claude Wiseler: Le premier enjeu est de ne pas laisser les développements se réaliser de manière sauvage. Le deuxième est d'éviter que les développements ne se concentrent que sur la Ville de Luxembourg. Nous voulons endiguer cela en préférant travailler sur plusieurs pôles de développement. Le premier reste la Ville de Luxembourg. Les deux autres sont situés autour d'Esch-sur-Alzette et Belvaux, avec le développement de Belval, et la Nordstadt autour de Dierkirch et d'Ettelbruck. Douze pôles secondaires ont aussi été identifiés pour accueillir notamment de nouveaux logements et des zones artisanales et industrielles.

Sébastien Lambotte: Aujourd'hui, qu'est-ce qui détermine cette vision de l'aménagement du territoire?

Claude Wiseler: Deux documents sont importants dans ce contexte. Tout d'abord un document appelé IVL (Integratives Verkehrs- und Landesentwicklungskonzept/concept intégré des transports et du développement spatial) et ensuite le programme directeur de l'aménagement du territoire. Il est essentiellement descriptif. Mais nous allons, dans les semaines et mois à venir, donner un caractère beaucoup plus contraignant à l'aménagement du territoire. Cela se fera en deux étapes. D'abord le vote d'un texte à la Chambre des députés, avant Pâques je l'espère, sur l'aménagement du territoire, qui nous donnera beaucoup plus de capacité d'agir au niveau national. À très brève échéance, ce texte, qui nous donne la capacité d'agir, sera complété par des plans sectoriels. Ils seront au nombre de quatre. Le premier régira les zones d'activités économiques, le deuxième s'attachera au logement, le troisième au transport et le quatrième à la préservation des grands ensembles paysagers.

Sébastien Lambotte: Que traduiront ces plans sectoriels?

Claude Wiseler: C'est très simple. A travers eux, nous allons définir de nouvelles zones dédiées aux activités économiques et professionnelles, d'autres à l'habitat. On veillera aussi à définir la manière dont la mobilité va s'organiser entre les deux. Le quatrième plan définira les espaces auxquels on ne peut pas toucher. Ces quatre plans sont coordonnés pour éviter toute contradiction et s'inscrivent dans une logique bien établie à l'échelle nationale. Ils seront mis en application en même temps. Ces nouveaux outils vont nous permettre de planifier à long terme. Une fois validés, ces plans sectoriels devront être transposés dans les Plans d'Aménagement Général (PAG) des communes.

Sébastien Lambotte: Quels ont été les principaux axes de travail qui ont permis de déterminer cette vision future de l'aménagement du Grand-Duché?

Claude Wiseler: Sur le thème de la mobilité, par exemple, nous avons voulu favoriser une certaine concentration. Les pôles de développement dont je parlais, notamment, nous permettent d'être mieux organisés en termes de mobilité. La volonté est que l'habitat soit le plus près possible du lieu où l'on travaille. Ce qui permet une réduction des trajets, mais aussi une meilleure organisation des transports en commun. Face aux enjeux d'avenir, il est essentiel que les pourcentages de mobilité publique et de mobilité douce croissent de manière substantielle. Pour les faire croître, on a besoin de mettre en place des structures qui sécurisent la mobilité douce. D'autre part, on constate que les transports publics, aux heures de pointe, sont complètement saturés. Il faut augmenter la capacité, mais cela exige un certain nombre d'investissements et une nouvelle organisation de la mobilité. Nous avons aussi défini une vision claire et établi des priorités. Tout cela se trouve dans notre Stratégie globale pour une mobilité durable (MODU) - pour les résidents et les frontaliers.

Sébastien Lambotte: A-t-on déjà une idée précise de l'affectation de ces futures zones?

Claude Wiseler: Je ne veux pas que la spéculation débute aujourd’hui. Notre vision sera rendue publique dès que les plans sectoriels s'inscriront dans la procédure légale visant à les faire valider. Une fois dans la procédure, les terrains définis dans les plans seront bloqués. La spéculation n'aura plus lieu d'être. J'introduis aussi dans la loi, et c'est tout à fait nouveau, la possibilité pour les autorités publiques d'avoir un droit de préemption sur des terrains définis dans les plans sectoriels et de pouvoir les exproprier au prix qu'ils avaient avant leur reclassement en un type de zone ou un autre. Cela donnera encore lieu, certainement, à des discussions. Mais cela est, à mon sens, un moyen nécessaire pour permettre à l’État d'accélérer un développement utile. Le problème, aujourd'hui, au niveau des prix de l'immobilier, réside dans un manque de disponibilité de terrains, donc dans la spéculation et dans une certaine retenue de terrains pourtant prévus pour accueillir du logement.

Sébastien Lambotte: En quoi est-il essentiel de penser à un développement du Luxembourg à l'échelle transfrontalière? Je pense notamment aux questions de mobilité...

Claude Wiseler: Il est primordial de penser le développement du territoire au-delà de nos frontières. Pour les questions de mobilité, plus spécifiquement, cela n'a pas de sens de faire des investissements pour des infrastructures afin d'élargir un axe autoroutier à une troisième bande dédiée aux transports en commun, par exemple, s'ils s'arrêtent à la frontière. Sur les axes qui pénètrent au Luxembourg, il faut une concertation sur les questions de mobilité, sur l'offre en transport en commun. Aujourd'hui, des solutions sont apportées, avec un accord signé lors du dernier Sommet de la Grande Région établissant avec nos partenaires les projets prioritaires pour une meilleure mobilité, ou avec l'établissement de Schémas stratégiques de mobilité transfrontalière (SMOT), sur lesquels nous nous accordons avec les autorités compétentes dans les pays limitrophes.

Sébastien Lambotte: La coopération transfrontalière, en matière d'aménagement du territoire, ne se limite pas à l'unique enjeu de la mobilité. Au niveau économique aussi, il y a des développements à opérer...

Claude Wiseler: Bien évidemment, mais l'économie, au niveau du gouvernement, n'est pas de mon ressort. Mais, lorsque l'on développe un centre d'attraction comme celui de Belval, il semble logique que l'on puisse identifier les incidences et opportunités de part et d'autre de la frontière. Ce site, sur la frontière, doit être pensé comme un pôle transfrontalier. D'autre part, il y a une coopération à opérer à l'échelle de la Grande Région pour en renforcer l'attractivité dans son ensemble.

Sébastien Lambotte: Est-ce l'enjeu que l'on retrouve derrière le concept au nom barbare de Région Métropolitaine Polycentrique Transfrontalière?

Claude Wiseler: On peut faire le constat que Luxembourg et ses alentours n'ont pas l'envergure d'une vraie métropole. L'idée est que, en mettant nos ressources en commun ainsi qu'en ayant une approche de développement concertée, nous pourrions développer l'attractivité d'une métropole à l'échelle de la Grande Région. Cela tant en termes d'infrastructures que de réseaux culturel, social ou de financement. On pourrait, en créant une réelle région métropolitaine s'appuyant sur plusieurs pôles urbains de part et d'autre de la frontière, renforcer notre attractivité et notre compétitivité. Prenons par exemple le projet Terra Lorraine, qui veut attirer des entreprises chinoises. Ce genre de projet, par manque de place, ne pourrait que difficilement voir le jour au Grand-Duché. Par contre, l'aéroport de Luxembourg, pour les entreprises qui pourraient s'installer là, peut constituer une facilité indéniable. Dés lors, on gagnerait en attractivité à vendre cet espace métropolitain transfrontalier dans un même package.

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