"J'ai besoin de tout le monde", Claude Wiseler au sujet du sommet de Copenhague sur le changement climatique

Le Quotidien: Nous y sommes. Copenhague, un rendez-vous souvent qualifié de plus important sommet de l'humanité. Vous partagez cet avis?

Claude Wiseler: Je crois que c'est un sommet extrêmement important car il y va, en quelque sorte, de l'avenir de la planète. Au regard des enjeux, une absence de réaction sur la problématique du réchauffement climatique aura des conséquences graves et à long terme. J'espère que la conférence de Copenhague va nous permettre de faire un grand pas sur un sujet extrêmement important.

Le Quotidien: À quoi vous attendez-vous? Ce "grand pas" prendra-t-il la forme d'un accord global et légal?

Claude Wiseler: Pour l'instant, nous sommes à une semaine de Copenhague. Après des années de discussion je ne vois pas comment un accord juridiquement contraignant pourrait être posé sur la table et signé par tous les pays dans 15 jours. Je souhaiterais bien le contraire, mais j'ai des doutes. Je voudrais que l'on se mette politiquement d'accord, de manière contraignante, sur un certain nombre d'objectifs qui soient précis. Je conçois très bien que sur la base de cet accord politiquement contraignant, on puisse encore s'octroyer un certain nombre de mois pour aboutir à un texte, juridiquement contraignant cette fois. Nous avons besoin d'un accord et d'un calendrier à Copenhague. C'est ce que l'Union européenne, donc le Luxembourg, veut obtenir. Faire un pas de plus.

Le Quotidien: Que faudra-t-il accepter, au minimum, pour ne pas faire de ce rendez-vous un véritable fiasco? Quelle sera la position du Grand-Duché?

Claude Wiseler: Les finalités que l'UE s'est imposées pour aller négocier à Copenhague, sont partagées par le Grand-Duché. À Copenhague, il faudra se mettre d'accord sur les objectifs. Et il faut que cela soit clair pour tout le monde et que l'on partage tous le même objectif: arriver à réduire de 50% les émissions de CO2 d'ici 2050 pour éviter une hausse de la température de plus de deux degrés en moyenne. Il y deux autres aspects tout aussi importants. Le premier, il faut que les pays industrialisés, tous sans exception, acceptent de réaliser 80 à 95% des réductions parce que l'on ne peut pas demander l'impossible aux pays en développement qui ont un besoin de rattrapage économique évident. Le partage demande davantage d'efforts aux pays industrialisés et il faut accepter ça.

Deuxième aspect important: pour atteindre les objectifs de 2050, il faut des objectifs intermédiaires. Et dans ce domaine, l'Union européenne a quand même placé haut la barre en décidant de réduire les émissions de 20% d'ici 2020, quoi qu'il advienne à Copenhague. Mais si, d'aventure, tous les pays industrialisés adoptent les mêmes objectifs, nous viserons les 30%. Et les pays en développement devront également avoir des objectifs conformes à leurs moyens avec notre soutien financier. Le cadre est clair pour ces négociations. Mais je voudrais rappeler qu'il s'agit de discussions et la présidence suédoise doit avoir une certaine marge de manœuvre pour les mener. Si nous fixons des cadres trop rigides, ce ne sont plus des négociations.

Le Quotidien: Dans les négociations figurent les "permis de polluer", ces quotas d'émissions qui constituent un véritable marché. N'est-ce pas une façon pour les pays riches de se défausser?

Claude Wiseler: Il faut bien expliquer les choses. Pour le calcul des quotas, plusieurs mécanismes peuvent jouer. Soit les efforts sont fournis sur le plan national et ils sont comptabilisés directement. Soit nous disposons de mécanismes flexibles qui nous permettent de faire des projets bilatéraux avec un autre pays, comme la réalisation d'un parc d'éoliennes. Et nous pouvons réaliser des projets avec des pays en développement, par le biais de la coopération sauf que ces projets sont ciblés sur le changement climatique. Ces projets nous donnent la possibilité de comptabiliser des tonnes de CO2 en moins au niveau national. Oui, c'est vrai, j'ai l'impression, dans le discours ici au Luxembourg, que ces mécanismes flexibles sont considérés comme négatifs. On nous accuse de vouloir nous libérer de nos obligations en payant le prix. Je souligne en premier lieu que c'est un mécanisme prévu dans la réglementation. Ensuite, est-ce négatif de participer à des projets dans les pays en développement sur la question climatique? Il faut faire attention à deux choses. Il ne faut pas utiliser ces mécanismes pour ne rien faire à domicile. Je veux une priorité sur les mesures nationales parce que nous avons notre responsabilité propre, bien évidemment. Mais je sais aujourd'hui que si on veut atteindre moins 30%, même moins 20%, nous allons avoir d'énormes difficultés à réaliser cet objectif sur le seul territoire du Grand-Duché. Alors on réalise le maximum possible sur le plan national et le reste, on l'investit dans des projets, triés sur le volet, qui doivent répondre aux critères du développement durable. Je ne vois pas où est le scandale.

Le Quotidien: En quoi le sommet de Copenhague diffèrera-t-il de celui de Kyoto?

Claude Wiseler: Il y a deux différences. Il faut veiller à ce que tous les pays participent. Si nous voulons réussir ce pari mondial pour le bien de toute l'humanité, il faut que tous participent à l'effort. Nous sommes petits en Europe. Au niveau des ambitions, nous devons suivre les recommandations du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, qui considère les efforts à déployer pour obtenir un résultat acceptable. Et j'ajoute à tout cela encore une chose. Cela va nous coûter de l'argent, mais si on ne le fait pas aujourd'hui, si on n'investit pas cet argent à cet instant, non seulement cela nous coûtera les yeux de la tête dans 20 ans, mais encore et surtout, les conséquences seront dramatiques pour notre planète. Des îles vont disparaître, les côtes, également les côtes américaines et européennes sont directement menacées, des terres ne seront plus habitables, nous aurons des flots de réfugiés climatiques. Le prix à payer en vaut la peine, c'est le message le plus important. Et il faut aussi se dire que cet investissement peut nous rapporter quelque chose en termes d'économies d'énergie, dans tous les domaines.

Le Quotidien: Au regard du monde, les politiques vont jouer leur crédibilité à Copenhague...

Claude Wiseler: Je ne sais pas si on peut dire ça. Ce qu'il faudra éviter, c'est que les uns et les autres se rejettent mutuellement la responsabilité.

Le Quotidien: Que va faire le ministre du Développement durable à son retour, après les négociations de Copenhague?

Claude Wiseler: Si nous obtenons un accord pour une réduction de 30%, par exemple, il faudra que les pays européens se réunissent pour savoir qui fera quoi... Ce n'est pas moins 30% pour tout le monde, il s'agit d'une moyenne. Il faudra faire une répartition pour définir les charges de chacun. Après avoir obtenu notre quota, il faudra un débat. Tout le monde est d'accord sur la finalité générale, reste à discuter des mesures précises, ce qui ne sera pas facile. Il faut se rappeler certaines mesures impopulaires comme la fiscalité sur les véhicules... Et pourtant cela fut une réponse directe aux émissions de CO2. Ce qui est important pour moi c'est de faire deux choses. Premièrement, à partir de janvier ou février, quand les objectifs seront clairs, élaborer un plan d'action national qui déterminera de façon précise les actions à entreprendre dans les prochaines années. Il comportera tous les aspects, les énergies alternatives, les réductions des dépenses énergétiques, le logement, la mobilité, bref tous les secteurs qui rentrent dans le champ d'application. Marco Schank et moi-même, nous voulons faire du bruit autour de l'élaboration de ce plan. Il est très important que les gens comprennent et acceptent les mesures qui seront nécessaires, donc nous devrons expliquer le plus possible. Tout ce programme d'action national ne sera pas fait exclusivement au ministère mais devra faire l'objet d'un large débat ouvert à tous pour faire participer le plus grand nombre. Nous aurons besoin de l'adhésion de la population.

Deuxièmement, je souhaite aussi présenter un paquet général de mesures et non pas essayer de faire des mesures isolées parce que la politique comprendra tant des mesures de soutien que des mesures contraignantes, et doit être comprise dans son ensemble. Il faudra impliquer tous les départements ministériels concernés par la question. Il me faut l'accord de Jeannot Krecké pour l'Économie, Romain Schneider pour l'Agriculture, Marie-Josée Jacobs pour la Coopération... et il faut bien évidemment aussi le feu vert du ministre des Finances. En gros, il me faut tout le monde et c'est le grand défi des six premiers mois et je souhaite vraiment en faire une grande discussion. Ce sera la suite immédiate de Copenhague sur le plan national.

Le Quotidien: Les résultats obtenus par le Luxembourg par rapport aux objectifs de Kyoto sont discutables. Comment expliquez-vous cette situation?

Claude Wiseler: On est à moins 5,2% sur le plan national en 2008. Les autres réductions ont été réalisées par le biais de mécanismes flexibles. Mais c'est un résultat insatisfaisant sur le plan national. Il y a des explications à cela qu'il ne faut pas considérer pour autant comme des excuses. Il faut savoir qu'à la fin des années 90, on n'était plus très loin d'atteindre notre objectif de moins 28%. Ensuite, dans les années 2000, nous avons connu un développement démographique important, le tourisme à la pompe et les besoins énormes de mobilité des frontaliers. Tout cela a augmenté à nouveau nos émissions de CO2. Sur l'industrie, nous avons des réductions de 63%, ce qui n'est pas négligeable. Sur les transports routiers, je parle de la flotte nationale, on a connu une augmentation de 88%. Maintenant sur d'exportation de carburant, le fameux tourisme à la pompe, on atteint une augmentation de 170%. Quant aux ménages, ce qui comprend notre vie quotidienne, la façon dont on se chauffe, dont on s'éclaire, on est à moins 1,4% en dépit de l'augmentation de la population. En analysant différemment tous ces chiffres, et je ne cherche pas à embellir la situation, mais simplement à dire que si nous avons abaissé de 5,2% nos émissions globales, cela signifie qu'avec l'augmentation de la population, nous avons abaissé nos émissions de 26% par habitant. Par ailleurs, au Luxembourg, dans un pays si petit, si on a une industrie qui s'implante ou une autre qui s'en va, on a tout de suite des variations importantes.

Le Quotidien: Le miracle de Copenhague doit-il venir des États-Unis?

Claude Wiseler: Je dirai que la Chine et l'lnde, comme les États-Unis, doivent embarquer dans le même bateau que les autres. Ils ont émis un certain nombre de propositions qui nous permettent de penser qu'ils sont en train d'avancer. Ils ont mené des négociations en parallèle. Ils bougent, ça me rassure. Je sais à quel point c'est difficile pour eux. Mais j'ignore encore quel sera leur degré d'implication dans cette lutte. Je veux garder l'espoir d'être agréablement surpris à Copenhague.

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