"2010, c'est demain", Claude Wiseler au sujet du sommet de Copenhague sur le climat

La Voix: A votre avis, est-ce que ce sommet pourrait clôturer sur un échec, noyé par des exigences incompatibles?

Claude Wiseler: Rien n'est acquis d'avance. Mais, je pense que chacun a conscience de la taille des enjeux et des conséquences en cas d'échec des négociations. Ces derniers mois, des propositions ont émergé de part et d'autres des grands pays industrialisés. On peut ne pas être d'accord sur le contenu mais je constate néanmoins que les choses bougent. Pour l'heure, chacun se sent ainsi obligé de faire un geste positif pour ne pas être montré du doigt. Je ne suis donc pas complètement confiant, mais j'espère que nous réussirons à dégager un accord.

La Voix: Vous avez déclaré que l'accord sera probablement "politiquement contraignant". Ce ne serait alors qu'une étape avant de travailler sur un texte juridiquement contraignant?

Claude Wiseler: Dans l'idéal, je voudrais que l'accord scellé soit tout de suite juridiquement contraignant. Mais il est difficile de ficeler un tel texte avant la fin du sommet. Dans ce contexte, je souhaite que les Etats s'engagent politiquement sur des objectifs clairement définis. Un agenda devra être fixé pour que ces obligations politiques soient transposées en un texte juridiquement contraignant. Ces travaux ne devront toutefois pas s'éterniser car le temps presse. 2020 c'est demain. Il faut mettre en place tout un arsenal de mesures juridiques et techniques. Puis il faut les répercuter au niveau national. Et voir si c'est efficace. 2020 approche à grands pas, nous ne pouvons pas nous permettre de discuter pendant des années.

La Voix: Que signifie pour vous la revendication d'un "accord ambitieux". L'UE doit-elle viser une réduction de 20, 30 ou 40%?

Claude Wiseler: A mes yeux, une réduction de 30% des gaz à effet de serre est ambitieuse. Surtout au regard des clauses afférentes pour y arriver. Au Luxembourg, certaines voix s'élèvent pour exiger de plus fortes réductions. Mais, au niveau mondial nous essayons de convaincre les autres pays d'en faire autant que I'UE. Il faut dire que nous nous sommes déjà engagés à réduire les émissions de CO2 de 20% au niveau européen. En proposant une réduction de 30% à condition que d'autres pays fassent des efforts similaires, il y a une dynamique pour aller ensemble de l'avant.

La Voix: Toutefois, au-delà des réductions chiffrées pour le climat, les enjeux sont également d'ordre social.

Claude Wiseler: Les conséquences sociales seront en effet énormes si nous n'arrivons pas à atteindre nos objectifs. Il faut s'attendre à des phénomènes accrus de sécheresses, d'intempéries avec des migrations massives de populations dont le lieu de vie n'est plus habitable. Si nous n'agissons pas aujourd'hui, le prix à payer n'en sera que plus conséquent. Tant pour les Hommes que pour la planète.

La Voix: Ce qui amène de nombreux acteurs à parler de la "responsabilité historique" de l'UE et des Etats-Unis.

Claude Wiseler: Même si cela ne s'est pas forcément fait de manière consciente, notre développement est en partie responsable des émissions de CO 2 pointées aujourd'hui. Nous ne pouvons pas refuser que d'autres pays se développent à leur tour. Mais qu'importe que l'on emploie le terme de "responsabilité historique" ou un autre, nous devrons finalement réduire nos émissions de 50% d'ici 2050 au niveau mondial. Si les pays industrialisés s'engagent à une réduction de 85 % à 90 %, cela reviendra à un effort moindre pour les pays en voie de développement. La répartition des charges ne serait certes pas équilibrée, mais correcte et juste.

La Voix: Qu'en est-il des transferts financiers pour les projets climatiques dans des pays tiers? Jean Asselborn avait avancé la possibilité d'intégrer ces projets dans le cadre de l'aide au développement.

Claude Wiseler: Actuellement, le Luxembourg dédie 0,93 du RNB à l'aide au développement. Je pense que tout projet climatique pour les pays en voie de développement devra être prévisible et additionnel. Ce qui signifie qu'une fois le paquet global d'aides défini, il faudrait reconnaître les efforts déjà fournis par le Luxembourg avant de procéder à une répartition. Il ne s'agit donc pas d'entailler les aides actuelles pour les remplacer par des projets climatiques.

La Voix: Autre enjeu, l'impact des décisions du sommet pour les entreprises. La Fedil avait avancé le risque de distorsion de concurrence pour les industries en cas d'accord unilatéral.

Claude Wiseler: Parfois des décisions sont prises unilatéralement pour faire évoluer les approches. Ici, si certains pays ne jouent pas le jeu pour préserver des avantages nationaux on ne s'en sortira pas. L'accord doit être global, tout en gardant des objectifs ambitieux. En tout cas, lors d'une future répartition des charges fondée sur le PIB et les émissions, le Luxembourg sera certainement confronté à des réductions élevées.

La Voix: Les défis s'enchaînent alors que le Luxembourg peine déjà à relever ses objectifs du protocole de Kyoto. Déi Gréng ont même parlé d'une hausse de 30% des émissions par rapport à 1990.

Claude Wiseler: Je ne peux pas commenter ces chiffres, car les données dont nous disposons montrent une réduction de 5,2% entre 1990 et 2008. A la fin des années 90 nous avions approché le seuil des -28%, mais les émissions ont connu une nouvelle hausse dans les années 2000 à cause de l'expansion démographique et de l'exportation de carburant.

La Voix: Quelle est votre stratégie politique? Subventionner davantage les pratiques écologiques et ou bien plus réglementer et contraindre?

Claude Wiseler: Je voudrais réunir tous les acteurs ces prochains mois pour discuter d'un paquet d'approches. Ces cinq dernières années nous ont montré qu'une mesure unique n'est pas comprise. Et ce qui n'est pas compris n'est pas accepté.

La Voix: Les subventions sont rarement contestées.

Claude Wiseler: Jusqu'au moment où on les supprime. Et nous ne sommes plus dans un contexte budgétaire qui permet des subventions à tout-va. Dans le domaine du logement, on peut par exemple soutenir bon nombre de mesures d'économie d'énergie via des aides publiques. Mais il faut aussi une réglementation sur les installations thermiques.

La Voix: Mais au final, le Luxembourg réussira-t-il à se passer des mécanismes flexibles dans des pays tiers pour atteindre ses objectifs de réduction?

Claude Wiseler: Nous aurons encore besoin de ces mécanismes à l'avenir. Mais ceux-ci ne sont pas forcément négatifs si on établit des critères et des contrôles. Et puis, il faut veiller à ce que les mécanismes flexibles ne soient pas une excuse pour ne rien faire sur le terrain national.

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