Subventionnement de la centrale nucléaire de Hinkley Point C au Royaume-Uni

Plainte de l’Autriche et du Luxembourg contre une décision de la Commission européenne

Le 5 octobre 2017, la plainte de l’Autriche et du Luxembourg contre une décision de la Commission européenne, autorisant le subventionnement de la centrale nucléaire de Hinkley Point C au Royaume-Uni, a été traitée devant le Tribunal de l’Union européenne au Luxembourg.

L’issue du contentieux aura une influence certaine sur l’orientation de la politique énergétique de l’Union européenne

Dans son intervention, le Luxembourg s’est concentré sur l’un des aspects centraux de l’affaire, à savoir la qualification d’aide au fonctionnement de la centrale nucléaire en question qui décide sur son éligibilité. Dans ce contexte, le Luxembourg a soulevé que le traité Euratom n’implique pas, au profit de la construction de centrales nucléaires, une immunisation de l’application des règles de droit commun de la concurrence. Ce n’est pas parce qu’Hinkley Point C fait partie du programme nucléaire britannique qu’elle peut bénéficier d’une aide d’État, à moins que cette aide d’État soit conforme dans tous les points au droit commun des aides d’État.

Par ailleurs, le Luxembourg a soutenu, que la construction de centrales nucléaires n’est évidemment pas particulièrement favorable, ni à la protection de l’environnement, ni à la sécurité d’approvisionnement.

Le projet de construction de la centrale nucléaire de Hinkley Point C au Royaume-Uni: éléments clés

  • Le 8 octobre 2014, après une enquête approfondie, la Commission européenne a donné son feu vert au projet britannique visant à subventionner la construction et l’exploitation de deux nouveaux réacteurs sur le site de la centrale nucléaire de Hinkley Point C dans le Somerset au Royaume-Uni.
  • Le projet sera porté par l’entreprise Électricité de France (EDF, détenue principalement par l’État français), ensemble avec la multinationale française du nucléaire AREVA (également détenue principalement par l’État français) ainsi que d’autres entreprises françaises, en associant deux sociétés étatiques chinoises en vue du financement du projet (CGN China General Nuclear et CNNC China National Nuclear Corporation).
  • L’aval de la Commission a suscité de vives critiques en Europe. Cette décision pourra créer un précédent en matière de subventionnement du nucléaire et être à l’origine d’une renaissance de cette énergie en Europe.
  • L’Autriche, particulièrement opposée au recours à l’énergie nucléaire, a immédiatement annoncé qu’elle ne pouvait accepter une décision permettant le subventionnement étatique de l’énergie nucléaire. Elle a donc attaqué la décision devant le Tribunal de l’Union européenne en juillet 2015, ce qui a provoqué une pression diplomatique britannique accrue sur l’Autriche.
  • Conformément avec sa politique anti-nucléaire, le Luxembourg a décidé de soutenir l’Autriche dans son recours en annulation (cf. décision du Conseil de gouvernement du 15 octobre 2014 confirmée le 10 juillet 2015).
     

Toile de fond

Description de l’aide étatique

L’aide du Royaume-Uni au projet Hinkley Point consiste en:

  • un mécanisme de soutien des prix de l’électricité, qui garantira des recettes stables à EDF pendant les 35 premières années d’exploitation, à des prix garantis, dépassant largement les prix pratiqués sur le marché de l’électricité;
  • une garantie d’État couvrant toute dette qu’EDF contractera sur les marchés financiers en vue de la construction de la centrale.
     

Les incertitudes liées au projet Hinkley Point

Même si le 21 octobre 2015, à l’occasion de la visite d’État du président chinois Xi Jinping au Royaume-Uni, EDF et les sociétés étatiques chinoises (CGN et CNNC) ont signé l’accord qui officialise le lancement du projet (qui aboutira à une détention de 33,5% des parts par le groupe chinois1 et de 66,5% par EDF dans la filiale dédiée au projet), des incertitudes entourent encore le projet.

Tout d’abord, la France et le Royaume-Uni craignent énormément les incertitudes que le recours en annulation de l’Autriche devant le Tribunal de l’Union européenne (et la longueur de celui-ci, sauf si une procédure accélérée est demandée) entraîne pour les investisseurs participant au projet. Il convient à cet égard d’ajouter que "Greenpeace Energy" a également introduit un recours en annulation contre la même décision de la Commission européenne.

À cela s’ajoute que le groupe AREVA doit faire face à de fortes difficultés financières (perte de EUR 4,8 milliards pour l’année 2014; besoins de financement de EUR 7 milliards; suppression de 4.700 emplois d’ici 2017).

Eléments juridiques

L’aide britannique à Hinkley Point constitue bien une aide d’État (procurant à ses bénéficiaires un avantage économique dont ne bénéficient pas ses concurrents).

Toute aide d’État doit respecter les règles du droit de l’Union relatives aux aides d’État, dont l’objectif est de préserver la concurrence dans le marché intérieur.

1) Les arguments essentiels de la Commission européenne
 

Cependant, la Commission européenne a déclaré cette aide compatible avec le marché intérieur (sur le fondement de l’art. 107 (3) c) du Traité sur le fonctionnement de l’UE en vertu duquel "peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun ").

Selon la Commission européenne, l’aide britannique à l’investissement est nécessaire pour remédier à une "défaillance réelle du marché" en ce sens qu’il aurait été impossible d’obtenir le financement nécessaire. Selon la Commission, l’aide remplit également un objectif d’intérêt européen commun (sécurité d’approvisionnement à long terme). Toujours selon la Commission, l’aide est également proportionnée à son objectif et ses effets négatifs de distorsion de concurrence sont réduits au minimum.

2) Les arguments additionnels invoqués par le Grand-Duché de Luxembourg
 

Le Grand-Duché de Luxembourg intervient au soutien des conclusions de l’Autriche, qu’il estime entièrement fondées et invoque les arguments concordants et additionnels suivants:

  • Le développement de l’énergie nucléaire par le biais d’aides d’État est incompatible avec les objectifs de l’Union européenne. La protection de l’environnement constitue, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, "l’un des objectifs essentiels de la Communauté";
  • Le Grand-Duché de Luxembourg rejette l’assimilation de l’énergie nucléaire à une forme durable de production d’énergie. L’énergie nucléaire n’est pas neutre en matière de C02. Au contraire, il a été scientifiquement démontré qu’en ajoutant, comme il se doit, le carbone produit lors de l’extraction et du traitement de l’uranium, lors de la construction des centrales nucléaires, lors de leurs opérations, lors de l’élimination et du stockage de déchets nucléaires et lors du démantèlement des centrales, on aboutit à une émission de dioxyde de carbone considérable par kWh produit . L’énergie nucléaire n’est en rien comparable aux formes de production d’énergie qui sont réellement durables, sur base de l’énergie solaire, de l’énergie hydroélectrique, éolienne et ainsi de suite;
  • La promotion de l’énergie nucléaire par la construction de nouvelles centrales retarde la transition vers un système énergétique plus sobre, plus durable comme prévu par les politiques européennes afférentes;
  • Le développement du risque terroriste et le développement des moyens techniques à la disposition des groupes terroristes font apparaître la construction de centrales nucléaires, avec les risques énormes qu’engendre un incident, comme contraire au principe de précaution énoncé à l’article 191 TFUE, qui est défini par la Cour (ainsi que le rappelle l’Autriche dans sa requête (point 96), comme l’obligation de veiller à "réduire et, dans la mesure du possible, supprimer, dès l’origine, les sources de pollution ou de nuisance par l’adoption de mesures de nature à éradiquer les risques connus";
  • Le Luxembourg rejette l’interprétation moins rigoureuse de la Commission de la réglementation en matière d’aides d’États en faveur de l’énergie nucléaire: La Commission applique rigoureusement les critères du droit des aides étatiques au soutien à l’énergie renouvelable – tout en en exemptant de facto le projet Hinkley Point C. Au regard de l’objectif de protection de l’environnement, cette double attitude est incompréhensible et discriminatoire;
  • Le Luxembourg rejette l’argument selon lequel la promotion de l’énergie nucléaire assure la sécurité d’approvisionnement: or, la dépendance de l’Europe de sources situées en dehors de l’Union européenne est encore plus importante, pour l’énergie nucléaire, que sa dépendance en ce qui concerne les sources fossiles d’énergie. Selon des données publiées par le "Nuclear Observatory" auprès de la Commission, les installations nucléaires dans l’Union importaient en 2014 le minerai à 97% de sources situées en dehors de l’Union, avec tous les risques d’ordre géopolitique qui l’accompagnent;
  • Le Luxembourg considère que le subventionnement pourrait s’apparenter à une aide spécifique pour une entreprise particulière. En effet, les difficultés financières d’Électricité de France SA (entreprise détenue principalement par l’État français, ci-après "EDF"), chargée de la mise en œuvre du projet HPC et bénéficiaire de l’aide étatique projetée, et de la société d’Areva, également détenue principalement par l’État français) qui doit réaliser la construction de la centrale nucléaire, étaient évidentes dès le jour de l’adoption de la décision attaquée.

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